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La fabrique carcassonnaise au XVIIIe siècle

Retour sur l'histoire de la manufacture royale de drap
- Localiser sur un plan
Londrins seconds A.D.Aude

Depuis le Moyen Âge, Carcassonne exportait vers les pays de Méditerranée orientale, vers l’Espagne et l’Italie des draps de laine renommés pour la beauté de leurs teintures. Ce terreau favorable attira l’attention de Colbert, qui recherchait une région pouvant vendre à l’étranger des produits d’un prix suffisamment élevé pour remplir le trésor royal de métaux précieux. Il s’ensuivit en 1666 un marché conclu avec les détenteurs de capitaux : ceux-ci, en échange de l’attribution d’une prime par pièce produite, devaient respecter une réglementation stricte permettant d’obtenir des draps de qualité, surtout des londrins seconds, comportant 2 600 fils de chaîne.

Le portail des Jacobins, le Dôme, les Halles, des hôtels particuliers, ces édifices qui embellissent notre ville, auxquels on peut ajouter le Roi des eaux ont été réalisés au XVIIIe siècle, grâce aux bénéfices générés par l’essor industriel qui, résultant de ces mesures, constituait désormais l’essentiel de l’activité urbaine.

 
Le commerce inernational © R. Coustal

Manufactures royales et marchands-fabricants

Certaines entreprises, avec le statut de manufacture royale, furent choisies pour montrer l’exemple, ainsi dès 1696 « au bout du pont » la Trivalle de Guillaume III Castanier. Cette dernière regroupait des ouvriers qualifiés dans ses murs mais en faisait travailler un nombre bien supérieur au-delà de ceux-ci. En subsiste seulement le bâtiment où résidaient les propriétaires, mais en arrière et jusqu’à notre Pont Neuf s’étendaient les ateliers, un potager, un jardin d’agrément et un buffet d’eau toujours visible.

Cependant, les cinq manufactures situées dans l’actuel département de l’Aude, réalisaient seulement 15 % de la production, la grande majorité des draps étant le fait d’une cinquantaine de marchands-fabricants travaillant en toute liberté, sous réserve de respecter la réglementation. Depuis le « magasin » de leur domicile, où ils stockaient laine, produits tinctoriaux, enfin les draps, ils dirigeaient le cycle des opérations, lesquelles étaient exécutées dans les demeures dispersés à travers la ville ou la campagne où travaillaient les divers corps de métier. La mise en place de ce système amena effectivement les détenteurs de capitaux à investir dans la draperie, en s’assurant des profits considérables, les deux plus beaux exemples, outre les Castanier, étant Antoine Rolland et Germain Pinel, au demeurant beaux-frères.

La production languedocienne, multipliée par huit au cours du XVIIIe siècle était vendue aux négociants marseillais qui les envoyaient dans les Echelles du Levant, et de là dans tout l’Empire Ottoman, l’Inde et la Chine tandis qu’une partie était exportée par l’Atlantique vers l’Amérique du sud.

Misère ouvrière et crise finale

Certains artisans, les pareurs et les teinturiers, employaient quelques travailleurs mieux payés, mais la grande majorité, constituée pour moitié d’ouvrières, était payée à la tâche, c'est-à-dire le prix de quelques kilogrammes de pain par jour. Encore fallait-il employer femme et enfants, ne pas être victime du chômage, d’une maladie ou d’un accident du travail, ce qui explique la médiocrité des logements à l’ouest de la ville et dans la Cité banlieue ouvrière misérable.

Or, la fin du XVIIIe siècle aggrave cette situation en raison d’une crise latente de surproduction. En effet, les progrès du libéralisme économique favorisent l’emploi de laines locales, ainsi que les fraudes qui découragent les acheteurs orientaux, alors que les chefs d’entreprise ne recherchent pas d’autres débouchés et ne s’adaptent pas à la mode, en pleine évolution en France. Les années 1764 et 1783 sont marquées par un chômage considérable, et en mars 1789 La Trivalle fait faillite.

La Révolution achèvera de bouleverser ce système, mais dès la fin de l’empire napoléonien, l’industrie textile locale repartira sur de nouvelles bases pour un demi-siècle.